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Olga Garbuz
Pascal Dusapin – Mythe Algorithme Palimpseste
Au siècle dernier, deux avant-gardes marquent l’histoire de la musique : la première voit le jour avant 1925, en Autriche (Berg, Schönberg, Webern) et en Russie blanche (Golyshev, Roslavets, Wyschnegradsky), la seconde apparait dans les ruines de l’Europe, plus ou moins loin de Darmstadt (Boulez, Cage, Crumb, Denisov, Goubaïdoulina, Penderecki, Schnittke, Stockhausen, etc.). Ces cadets vont affectionner le pli spatial et temporel, concept clé de l’époque postmoderne. Leur goût s’incarne dans différentes tentatives de lier Orient et Occident (Benjamin, Kagel, Takemitsu) et dans la référence historique qui deviendra un procédé récurrent de la fin du XXe siècle. On n’en finirait pas de citer Huber glanant chez Bach, Nono chez Ockeghem, Reich chez Pérotin, etc. – le collage est le summum de l’appropriation, à l’instar de la fameuse Sinfonia de Berio (1968/1969) [lire notre critique du CD].
Déjà l’auteure d’une thèse intitulée Le palimpseste dans la musique de Pascal Dusapin, Olga Garbuz signe aujourd’hui quatre chapitres sur celui qui avoue souvent « résoudre un problème de composition en allant puiser une solution dans l’étude d’une photographie, en lisant un livre, en regardant un film ou en contemplant une peinture ». Dusapin illustre un type d’emprunt extra-musical (synthèse structurelle), sous l’influence des théories scientifiques modernes. Grâce à sa lecture du philosophe Deleuze, ce créateur pour le moins intègre [lire notre chronique du 25 février 2012] explore l’idée du rhizome (absence de centre, de hiérarchie, de symétrie). De même René Thom et la morphogenèse (théorie des catastrophes) le rendent-ils sensible aux brusques changements de forme, comme en témoigne Celo (1997) [lire notre critique du CD]. Enfin, les assises de la prose de Beckett (ostinato, soliloque, silence, etc.) lui sont une source d’inspiration de longue date.
À la lumière de ces trois guides dans la recherche de nouveaux procédés de création, partition à l’appui, la musicologue analyse trois pièces emblématiques : Trio à cordes « Musique fugitive » (1980), qui mêle multiplicité des trouvailles faites au hasard et structure cohérente, Étude pour piano n°2 (1999), l’une des « catastrophes » d’une série de sept, ainsi que le Quatuor à cordes n°5 « Mercier et Camier » (2005) dont le sous-titre précise quels événements romanesques y sont transposés.
Garbuz poursuit sa quête des singularités de Dusapin à travers Solos pour orchestre, cycle de grande envergure composé de sept parties indépendantes, « interconnectées selon le principe du palimpseste » – Go (1992), Extenso (1994), Apex (1995), Clam (1998), Exeo (2002), Reverso (2006) et Uncut (2008). Ce chapitre met en avant l’influence de son mentor, avec des citations telles que « Xenakis pensait que tout était cohérent. Mais c’est avec lui que j’ai appris à ne pas être cohérent » ou « je me sers toujours d’outils qu’il m’a donnés, comme les calculs de proportions ».
Dans une époque qui voit cohabiter sensation d’épuisement (style, sujet) et développement culturel (technologies, médias), précise l’auteure, « la création s’approprie cette forme de jeu qu’est l’intertextualité en mettant en avant ses manipulations de citations, d’allusions et de réminiscences ». Pour elle, l’heure est venue de commenter sept opéras du compositeur, principalement sous l’angle du mythe et du cut-up – Roméo & Juliette (1988), Medeamaterial (1990), To be sung (1993), Perelà, uomo di fumo (2001), Faustus, the last night (2004), Passion (2008) et Opéra de feu (2010).
LB